La peinture n’existe pas, il n’existe que des peintures

8.O4 > 25.04.2021

dorossy salon 3F #75-1 Samcheong-ro Jongno-gu Seoul 03054 Korea

Selon le peintre belge Walter Swennen « la peinture n’existe pas, il n’existe que des peintures ». Ce qui finalement existe, « ce sont des choses, des objets ». En isolant ainsi la peinture/matière en tant qu’objet, ce médium devient peut-être aujourd’hui le seul parmi les autres à confronter le spectateur a un « tout » direct et instantané. Il représente un espace temps en lui même. 

Dans cet espace temps se confrontent les enjeux de la matière, du geste et des outils liés aux potentiels de la surface. Il y a dès lors une multitude de peintures possibles. Chacune de ces peintures élabore son propre système de composition, chaque peintre explorant ses propres règles, son propre langage qu’il soit commun ou non à d’autres. Les œuvres ne se posent alors plus en termes critiques. Elles amalgament l’histoire de la peinture, les gestes possibles, l’acte en lui-même de peindre ou sa restriction, la peinture comme indice du réel et, dans le même temps, son autonomisation, devenant ainsi un espace de friction. 

Ces réflexions sur la peinture sont au coeur des recherches d’Hugo Lermechin et d’Hugo Scibetta. Elles retranscrivent les échanges que nous avons depuis quelques années maintenant, sur leurs pratiques personnelles, l’histoire de l’art dans laquelle elles se situent et les rapports qu’ils entretiennent avec le travail d’autres peintres. Elles s’inscrivent donc dans des références communes, mais aussi des divergences quand à leurs mises en oeuvre. Ainsi l’on pourrait dire que les recherches d’Hugo Lermechin se manifestent dans un attrait pour la peinture objet tandis que celles d’Hugo Scibetta s’incarnent dans un questionnement de l’objet peinture. C’est à partir de ces problématiques que nous avons conjointement imaginé cette exposition. 

En entrecroisant références conjointes et disjointes, en les confrontant aux oeuvres d’autres artistes, de pratiques et de générations différentes, l’exposition présente alors un parcours composite des proximités picturales des deux peintres, créant ainsi une généalogie personnelle de leurs recherches et de leurs créations.

Étonnamment, le parcours s’ouvre par une oeuvre sur papier de Marie Léon, un dessin au pastel dont la réflexion sur la composition, sur le rapport entre les matières usitées et le soin apporté au traitement des pastels explicitent les thèmes généraux qui vont se déployer dans le reste des oeuvres. On retrouve ainsi ces mêmes réflexions dans les oeuvres de Thomas Fougeirol, d’Hugo Lermechin et d’Iroise Doublet qui lui succèdent. Chez Thomas Fougeirol, on plonge directement dans un travail qui questionne le rapport à la matière par la mise en valeur de ses aspects physiques, un jeu sur le relief qui permet une réflexion sur la texture mais aussi sur la lumière et donc sur la profondeur de champ. C’est aussi à cette profondeur de champ qu’Hugo Lermechin s’intéresse en jouant sur la superposition de couches d’enduit teintées qui figent la trace des outils, les sillons du pinceau. À cette accumulation, il ajoute un ultime geste quasi archéologique qui révèle alors l’historique des actions qui ont conduit couleur et matière à fusionner. Iroise Doublet joue, quant à elle, de l’opposition entre la rudesse du plâtre et le touché délicat qu’elle y appose pour créer une peinture objet fragile et séduisante de par la grande technicité des gestes qui l’incarnent.

La question du geste se retrouve à la suite dans le travail de Sylvie Fanchon, d’Hugo Pernet et d’Hugo Capron, un geste pictural qui se recentre sur le motif, une figuration de la perception. Mais au delà du geste du peintre, il est ici plus question d’un geste « protocolaire » mis en œuvre dans une pratique d’atelier quotidienne. Une répétition de variations qui permet l’exploration de la relation entre le fond et la forme chez Sylvie Fanchon, une sérialité de la pratique picturale qui permet « d’ouvrir une brèche qui pousse la forme (1) » chez Hugo Pernet et de « décliner pour permettre de voir autrement (2) » chez Hugo Capron. Une déclinaison des pratiques donc, permettant une exploration des motifs et de leurs agencements telle qu’on la retrouve aussi chez Renaud Regnery, Nick Oberthaler et Hugo Scibetta.

Renaud Regnery joue des codes et conventions picturales. Si dans un premier abord, l’on pense à la peinture abstraite et conceptuelle lorsque l’on regarde son travail, il s’agit plus ici d’une exploration des matériaux et des gestes induits. Les matériaux, ce sont ces papiers peints qu’il colle sur la toile. Les gestes, ce sont les regards qu’il porte sur ces imprimés, la manière dont il agence et agit sur ces motifs reproductibles pour les déployer sur la toile. La composition prend alors ici toute son ampleur, tout comme elle se déploie magistralement dans les œuvres de Nick Oberthaler. Pour lui, dans la peinture « il ne s’agit que de surface, de couleur et d’espace (3) ». Il y a donc chez ce dernier un jeu de construction de l’image peinte dans une mise en rapport minimaliste des éléments entre eux. Un geste technique préconçu sur ordinateur mais un geste technique tout aussi présent sur la toile de par la précision des aplats de peintures qu’il y dépose. Ce jeu d’agencement se retrouve aussi chez Hugo Scibetta qui tente à travers chacune de ses oeuvres de trouver la forme adéquate aux préoccupations basiques de pratiques et de sujets que semble incarner la peinture. Mais chez Hugo Scibetta, la peinture est plus une sorte de tentative, un prétexte à réfléchir sur le sujet de la peinture, le réceptacle d’un moment de questionnement qui s’inscrit dans un processus global d’interrogation du médium. 

Car finalement, c’est bien de cette interrogation que parle cette exposition. On le voit avec le choix d’y inclure Camila Oliveira Fairclough. Si cette dernière « utilise souvent le langage dans ses œuvres, c’est parce qu’il nous emporte dans cette zone charnière située entre l’image et la peinture, la signification et le non-sens (4) ». Ce propos pourrait aussi s’appliquer à la jeune Marine Coullard mais tout autant aux abstractions anodines de Geoffrey Benhamou, à l’univers quasi fantastique que déploie Charlotte Denamur dans sa peinture hors cadre ou à la peinture objet de Guillaume Pilet. Et c’est peut-être ce qui caractérise les participants à ce projet d’exposition, une envie commune d’explorer cet espace de friction qu’est la peinture. 

  1. Jill Gasparina
  2. Sandra Barré
  3. Nick Oberthaler
  4. Hugo Pernet

avec Geoffrey Benhamou, Hugo Capron, Marine Coullard, Charlotte Denamur, Iroise Doublet, Sylvie Fanchon, Thomas Fougeirol, Marie Léon, Hugo Lermechin, Nick Oberthaler, Camila Oliveira Fairclough, Hugo Pernet, Guillaume Pilet, Renaud Regnery & Hugo Scibetta

Cette exposition a reçu le soutien de la Région Grand Est et de la Ville de Nancy.