Territoire #7

2 – 30 août 2025

Territoire, c’est un programme de performances dans l’espace public qui a lieu à Nancy durant l’été. Territoire, c’est des artistes invité·e·s à réfléchir et questionner, à travers leurs pratiques respectives, l’usage de la ville et de ses espaces. Territoire, c’est ainsi la rencontre entre l’inattendu, l’insolite et le quotidien, c’est une invitation à regarder et pratiquer la ville autrement.

Territoire questionne donc la notion d’espace tant physique qu’artistique. Il s’agit, à travers la mise en œuvre d’un geste, d’interroger le lieu dans lequel ce geste se déploie. Mais ici, le questionnement se concentre sur une typologie particulière de l’environnement urbain : l’espace public.

La qualification de public engendre l’idée d’accessibilité, d’ouverture à tous, car se reliant à un élément regardant les citoyens dans leur ensemble. On définit d’ailleurs l’espace public comme l’en- semble des lieux de passage et de rassemblement qui sont à l’usage de tous. Ceux-ci sont gérés sous la dénomination de domaine public par l’Etat (dans un sens large de son interprétation) qui en est de fait le propriétaire. Dès lors, cette notion de propriété contredit l’idée première de bien public. Elle introduit un état de droit garantissant les prérogatives et libertés des citoyens usagers de cet espace, mais bien plus aussi les réglementations ou restrictions encadrant le statut ouvert et anonyme de ce même espace. Se pose donc la question de liberté d’utilisation qui s’y rattache.

Chaque artiste participant·e est ainsi invité·e à se confronter à ces réglementations et codes. Se faisant, et à travers des pratiques et des philosophies très diversifiées, il s’agit d’en interroger les limites, d’en jouer pour livrer une vision renouvelée des usages de l’espace public.

Cette année, Territoire invite 8 artistes : Saskia Edens (CH), Mathis Esnault (FR), Tickson Mbuyi (RDC), Ouissem Moalla (SW/FR), Audrey Pouliquen (FR), Alexandra Sheherazade Salem (CH), Loup Uberto (FR) & Remi Voche (FR).

Programme :

Les lieux et horaires des performances seront annoncés sur notre page instagram la veille de chaque performance (https://www.instagram.com/opnspace/)

Programme :

Samedi 2 août à 17h au Parc du Palais du Gouverneur

Audrey Pouliquen (FR)_Mise en eau

Née en 1992
vit et travaille à Mulhouse

https://pouliquendrey.wixsite.com/audrey

Audrey Pouliquen est une plasticienne dont la pratique s’oriente principalement autour du son. Son travail, en se déployant à travers la création de situations et de mises en scène, se focalise sur notre rapport à la nature par l’exploration des modes d’existences non-humains. 

Pour Territoire, elle s’empare d’une fontaine d’un des parcs de la ville, folie* ancienne, aujourd’hui en ruine et désertée, qu’elle a décidé de remettre en eau, de remettre en vie. Il s’agit dès lors pour elle de questionner notre lien à l’eau à un moment où le changement climatique en souligne de plus en plus l’importance pour la vie terrestre, l’eau étant un élément primordial dans l’apparition sur Terre du vivant et dans sa permanence. Elle fait ainsi partie intégrante de cette « agentivité occultée du vivant qui permet la création d’habitabilité multispécifique collatérale »(1).

C’est donc cette habitabilité multispécifique qu’évoque ici Audrey Pouliquen en convoquant les différentes typologies de vivants non humains qui habitent et vivent l’eau. Par ce geste, elle mêle sa propre voix à leurs cantiques tentant par ce biais de créer une alliance politique et poétique avec eux afin de porter haut leurs voix aujourd’hui négligées, voire oubliées par l’obsession moderniste de contrôle et de simplification de la nature. C’est ainsi à une célébration de multiples formes de vies tissées à leurs milieux de vies que nous convoque Audrey Pouliquen.

* Les folies ou fabriques de jardin sont de petites constructions, souvent de caractère romantique, aux formes diverses et parfois extravagantes (pavillon, pont, cascade, ruine, grotte, maison de coquillages, rotonde, tour) édifiées dans un parc ou un jardin.

(1) Baptiste Morizot et Suzanne Husky, Rendre l’eau à la terre, Actes Sud, 2024, p 283.

Samedi 9 août à 18h à la Porte de la Craffe

Rémi Voche (FR)_La fleur du soleil

Né en 1983 à Lagny-sur-Marne.
Vit et travaille entre Paris et l’Auvergne.

https://www.instagram.com/remivoche

En recourant aux éléments naturels présents dans son environnement immédiat de création, Rémi Voche crée des incarnations aux multiples visages qui lui permettent de porter à travers elles une parole poétique et politique, le terme politique étant entendu ici dans son sens le plus noble. En cela, il rejoint le constat fait par Léna Balaud et Antoine Chopot dans leur livre Nous ne sommes pas seuls : « les humains n’évoluent et n’agissent jamais seuls, ils ne sont pas les seules puissances d’agir capables de transformer et façonner le monde ». Il se fait ainsi allié de ces vivants non-humains qui peuplent son travail pour transfigurer leur agentivité à travers des incarnations devenant des personnages-images et des images-personnages symboliques et performatif.ve.s. 

Pour sa performance nancéienne, c’est dans le vocable du chardon qu’il trouve son inspiration afin de faire sienne la devise que la cité a adopté à la suite de la défaite sous leurs murs du duc de Bourgogne, Charles le Téméraire, en 1477 : Qui s’y frotter s’y pique. Se faisant, cette plante, incarnation du symbole d’endurance, de ténacité et de résilience, qui offre selon la légende une protection contre le mal et les influences néfastes, lui permet d’évoquer les mouvements de résistance qui, aujourd’hui, parcourent le monde et de célébrer les différentes luttes à l’œuvre contre l’exploitation du vivant sous toutes ses formes face aux forces délétères du capitalisme et du colonialisme, soulignant ainsi qu’un monde bourdonnant de puissances d’agir est un monde qui permet de fabriquer et refabriquer des mondes responsables et attentifs aux formes de vie dans toute leur diversité. 

Dimanche 10 août à 18h au Bras Vert, site des Grands Moulins de Paris

Saskia Edens (CH)_L’esprit du Bras Vert

Née en 1975 à Genève
Vit et travaille à Bâle

http://www.saskiaedens.com

La modernité a transformé notre rapport à la T/terre en métamorphosant la Nature en une ressource à dominer et à exploiter. Se faisant, les être humains l’ont prise pour acquise, la modifiant selon leur volonté, abusant de ses ressources jusqu’à épuisement, la simplifiant pour mieux la soumettre. Mais les modernes ont oublié que les conditions de la vie (atmosphère, climat, eau, sol, etc.) ne sont pas qu’un cadre pour les humains mais une construction de tous les vivants et que notre environnement est ce qui relie et constitue les humains comme expressions multiples d’un ensemble qui les dépasse. 

La pratique de Saskia Edens s’attache à retisser nos liens au vivant en revisitant la cosmogonie de la Terre-Mère. Elle cherche dès lors à changer notre rapport à la Nature en établissant une diplomatie du soin qui rejoint le point de vue de Baptiste Morizot pour qui, « guérir une puissance non humaine qui nous échappe nécessite d’adopter le point de vue d’une autre puissance non humaine qui nous échappe », car prendre soin suppose une attention à toutes les vies et tous les êtres qui peuplent le monde. 

Se faisant, Saskia Edens cherche ainsi à déployer les conditions d’une alliance avec le vivant qui, à Nancy, prend la forme de l’évocation de l’esprit du Bras Vert de la Meurthe à travers la réalisation de rituels de soins afin « d’appeler à une activité d’accompagnement en vue du développement, du maintien ou de la restauration d’une puissance d’être, de dire ou d’agir » (1).

(1) Fabienne Brugère, L’éthique du «  care », Que sais-je?, 4e édition, 2023, p 81

Samedi 16 août à 20h à l’Arc Héré

Loup Uberto (FR)_Ël testament ëd l’anvelenà 

Né en 1990
Vit et travaille à Grenoble

https://loupuberto.fr

Loup Uberto est un artiste musicien dont la pratique doit beaucoup aux chants et gestes populaires du bassin méditerranéen. Il agit comme une sorte d’ « archéomusicologue », documentant le crépuscule des langues et les trésors musicaux délaissés. Sa musique s’inspire ainsi de fictions fragiles, d’aspérités dans le langage, décalant le regard du contemporain vers le lointain de l’histoire pour questionner le présent .

Pour Territoire, il s’empare d’une vieille chanson piémontaise : Le testament de l’empoisonnée. Une longue complainte qui narre les mésaventures d’un homme de pouvoir sur son lit de mort, empoisonné par sa femme, et qui présente son testament à sa mère et liste les bénéficiaires de ses richesses. Loup Uberto en actualise le texte à la lumière de symboles qui interrogent plus frontalement notre présent, notamment la question de l’hospitalité, du don, du contact à l’autre. Ainsi notre protagoniste devient une femme, les bourreaux ses frères, le poison du pain. Les richesses léguées à son père, à sa mère, à ses sœurs et à son enfant sont des prairies, un langage fertile, le courage de lutter, et la faim de savoir. Quant à ses frères, il ne leur restera que l’orgueil, l’angoisse et la honte. 

En choisissant de rejouer ce chant à travers la figure de l’enfariné, Loup Uberto crée un monstre piémontais, « ël mat ëd’la stra », entre Pan de carnaval et contadin anachronique, il fait surgir un fou dans la ville, un Diogène ou un petit Bacchus ( le « mat » en piémontais étant à la fois le fou et l’enfant) qui, par sa seule présence, vient moquer toute idée de beau, de vrai et de pouvoir.

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Nous remercions chaleureusement @the_citron_nancy et @patisseriesucresale pour leur contribution à cette performance de Loup Uberto.

Dimanche 17 août à 18h à la passerelle de la Meurthe

Ouissem Moalla (SW)_Tempérance

Né en 1990 à Stockholm
Vit et travaille à Mulhouse (FR)

https://www.ouissemmoalla.com

Ouissem Moalla s’intéresse dans son travail à la question de la représentation symbolique, qu’elle soit langagière, gestuelle, architecturale ou imagée. Il imagine alors des situations qu’il hybride de références historiques et anthropologiques qui lui permettent de questionner notre rapport à l’histoire, autant intime qu’universelle.  

Pour Territoire, il a choisi de construire une situation autour d’une architecture particulière, le barrage de la Meurthe édifié entre 1996 et 1998 à cent mètres en aval de l’ancien, aujourd’hui démoli. Ce barrage, qui fait partie d’une ensemble d’aménagement construit pour réguler le cours d’eau, est un symbole de la volonté humaine de contrôle de la nature.  

À ce premier symbole, Ouissem Moalla a choisi d’y associer un deuxième, celui porté par le sens d’une image. Cette image est celle de la carte de tarot de la Tempérance illustrée par une femme ailée versant dans un mouvement cyclique le contenu d’une urne bleue vers une urne rouge, représentation de la circulation continu des flux et des énergies.  

Enfin vient s’associer à ces deux premières images symboliques celle du mythe de Sysiphe, qui, pour avoir osé défier les dieux et la mort, fut condamné à faire rouler éternellement jusqu’en haut d’une colline un rocher qui en redescendait chaque fois avant de parvenir au sommet, image ultime de l’absurdité de la condition humaine selon Albert Camus.

De ces trois références, il tire alors un geste qui évoque cette absurdité de la condition humaine tout en questionnant l’esprit du monde contemporain et le sens de ses actions ; les humains, malgré toutes les alertes sociales, sociétales et environnementales, s’obstinant dans un comportement abscons et un individualisme forcené. 

Samedi 23 août à 18h, Porte de la Craffe

Tickson Mbuyi (RDC)_Le 7e continent

Né en 1988 à Kinshasa
Vit et travaille à Paris

https://ticksonpro.wixsite.com/website

De ses débuts à Kinshasa en République démocratique du Congo, Tickson Mbuyi a gardé un certain goût pour les rebuts qu’il agrège et amalgame dans des sculptures qui existent par elles-mêmes mais sont aussi souvent le prétexte à des performances dans lesquelles il commente le goût de nos sociétés pour la surconsommation et les conséquences qu’elle engendre sur notre environnement. 

Depuis quelques années, il travaille sur un corpus d’oeuvres évoquant le 7e continent, vortex de déchets dérivant dans le Pacifique Nord, découvert par l’océanographe et skipper américain Charles J. Moore. Jusqu’à une époque récente, ces débris de nature organique subissaient une biodégradation mais les activités humaines y amènent désormais des débris en matières non biodégradables. Les matières plastiques y sont photodégradées en pièces et particules de plus en plus petites, mais celles-ci ne sont que très lentement métabolisées par les êtres vivants. Ce processus de dégradation des plastiques conduit donc à la production de déchets polluants, nocifs au milieu marin et au reste de la Terre. L’océan étant la source première de vie sur Terre, sa contamination par la désagrégation du plastique rejeté en mer se répercute sur l’ensemble de notre écosystème sans que nous soyons en mesure d’y apporter une réponse, l’échec des dernières négociations sur le traité mondial contre la pollution plastique en témoignant. 

La performance qu’il donne dans le cadre de Territoire s’inscrit dans la suite de ce travail autour de la pollution plastique des mers et des ses conséquences sur l’ensemble de nos conditions de vie.

Samedi 30 août à 20h, Parc Sainte Marie

Mathis Esnault (FR)_L’ombre et la fougère

Né en 1999
Vit et travaille à Strasbourg

https://mathisesnault.com

Le travail de Mathis Esnault déploie un récit au long cours dans lequel il conte ses arpentages qui le mènent à la rencontre de territoires et des êtres vivants qui les habitent. Les sentiers qu’il chemine ainsi se métamorphosent ensuite en souvenirs qu’il tisse d’anecdotes et de fables, troublant le jeu de la réalité, de sa conscience et de sa perception. Il flirte alors avec les illusions tel un alchimiste des mots, des gestes et des matières. Se faisant, il révèle les singularités de ces territoires, des vivants qui les habitent et la puissance d’agir de leur cosmogonie. 

La performance qu’il a imaginée pour Territoire s’est construite depuis le pays de la forêt vosgienne qu’il transpose dans celle du Parc Sainte Marie. Elle prend appui sur les altérités qui la constituent. Elle prend appui sur le rapport qu’il a patiemment développer avec ces altérités, habitants non humains de cette forêt. Elle prend appui sur le glanage de leurs récits et légendes qui parcourent cette forêt si proche et si lointaine et qu’il transmue de ses propres mots et de ses propres gestes, composant ainsi une fantasmagorie permettant de réapprendre à s’allier à la mémoire vivante de la terre pour en réveiller les esprits au dedans de nous et entre nous. 

Ainsi, à travers le récit incantatoire qu’il met en place, Mathis Esnault met en œuvre le récit d’une alliance, celle entre humains, animaux, végétaux et les esprits des lieux qu’ils habitent, celle de la circulation attentionnée d’une écologie multi-espèces dont nous ne ressortons pas moins humains, mais autrement.